Une manifestation du cycle de Jespersen en grec ancien : emphase en synchronie, impasse en diachronie


(soumis en 2019), Epilogos C. Filippi-Deswelle (éd.)

Résumé : Cette étude porte sur un renouvellement des indéfinis négatifs du grec ancien à la fin de la période classique (1re moitié du IVe siècle). A cette époque, l'indéfini négatif οὐδείς [u:de:s] 'personne, aucun' peut se trouver sous une forme scindée, avec deux mots graphiques et fonctionnels, ce qui revient à lui redonner son sens motivé : οὐδὲ... εἷς [u:de ... he:s] littéralement 'pas même... un seul'. Ces formes, connues des hellénistes, sont considérées comme emphatiques, traces d'une évolution de οὐδείς [u:de:s, forme par défaut à l'époque classique, vers οὐθείς [u:the:s], forme par défaut à l'époque post-classique. Avec une étude sur corpus (Platon, Démosthène et Xénophon), on cherche à comprendre en quoi consiste l'emphase, ce qui amène à reconsidérer le chemin diachronique habituellement décrit. La recherche aboutit à deux conclusions :

1) les formes scindées ne sont pas une étape dans un cycle de Jespersen ou une spirale de Meillet qui doit déboucher sur la forme post-classique οὐθείς [u:the:s]. Il s'agit en fait d'un renouvellement qui n'a pas eu de suite, d'une impasse sur le chemin diachronique, qui s'explique précisément parce que ces formes scindées ne sont pas de simples équivalents des formes univerbées.

2) En effet, ces formes sont emphatiques, parce qu'elles font intervenir focalisation et quantification, d'une manière qui n'est pas favorable à une extension d'emploi.

Abstract :

The article deals with a renewal of some negative indefinite forms in Ancient Greek at the end of the Classical period (1st half of 4th c. BC). At that time the negative indefinite term οὐδείς [u:de:s] « not any » may be split into two graphic and functional words, which results in giving it back its original and motivated meaning: οὐδὲ... εἷς [u:de ... he:s] literally « not even... one ». These forms, well-known by philologists, are considered emphatic; they are understood as an attestation of the evolution of οὐδείς [u:de:s], the default form at the Classical period, to οὐθείς [u:the:s], the default form at the post-Classical period. The corpus-based study (drawing on texts by Plato, Demosthenes and Xenophon) seeks to understand better in which sense these forms are emphatic, which leads to a reconsideration of the diachronic path, as usually described. The study leads to two conclusions. 1) The split forms are not a step in a Jespersen cycle or a Meillet’s spiral which has as an output the post-Classical form οὐθείς. This renewal was not continued, it was a dead end on the diachronic path: the reason is that the split forms are not strictly equivalent to combined forms. 2) The split forms are emphatic because they involve focalisation and quantification, in a way that does not allow extended uses.

 

Remaniement de la communication présentée lors du colloque The pragmatics of grammar: from polarity to negation en mai 2015 et lors du séminaire de l'ERIAC à Rouen en mars 2019.